Le plan d’intervention : simple outil d’allocation de services ou ligne directrice à l’intervention axée sur l’empowerment?

En continuation avec l’évaluation du fonctionnement social, constatons que le plan d’intervention fait suite à l’évaluation du fonctionnement social effectuée pour madame Z. 

Rappelons que le soutien à domicile a pour objectif de soutenir l’autonomie et à favoriser le maintien à domicile des individus. Cela peut prendre diverses formes. Usuellement, dans le cadre de la pratique du travail social dans ce contexte, cela consiste en l’intervention à domicile afin d’octroyer à l’usager.e les ressources nécessaires au maintien à domicile et à l’accompagnement à l’autonomisation.

L’intervention auprès de madame Z. est effectuée dans le contexte d’une perte d’autonomie liée à des douleurs physiques persistantes, affectant le fonctionnement de madame et son humeur. Les interventions sont également axées sur l’autonomisation en lien avec une désorganisation liée à une trajectoire de stigmatisation, d’itinérance, de santé mentale et de consommation. Jusqu’à maintenant, ce sont des interventions de démarchage et d’empowerment qui ont été instaurées.

Dans ce cas, le plan d’intervention est unidisciplinaire, mais il aurait pu être intéressant d’explorer l’apport d’autres professionnel.le.s dans la situation afin d’élaborer un plan d’intervention interdisciplinaire. Par exemple, pensons à l’ajout d’un suivi en kinésiologie pour mobiliser madame afin de prévenir un déconditionnement et de favoriser une reprise de pouvoir sur sa perte de mobilité.

Une force que comporte le plan d’intervention est qu’il est centré sur les besoins du système-client. Malgré tout, il m’apparaît que l’usagère aurait pu être davantage impliquée dans le processus (Turcotte et Deslauriers, 2017). Les besoins de l’aidée ont été verbalisés et interprétés pour formuler un plan, mais n’a pas comporté de rapport de collaboration manifeste dans sa production. De plus, en adéquation avec le mandat de soutien à domicile, il aurait pu être intéressant de mobiliser le seul proche de madame, son ami, compte tenu que les proches-aidant.e.s soient perçu.e.s comme des partenaires à l’intervention selon la politique de soutien à domicile (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003).

Constatons que les objectifs du plan d’intervention sont mesurables, motivants, réalistes et réalisables dans le cadre du suivi (Turcotte et Deslauriers, 2017). Les moyens, eux, sont malheureusement standardisés. Ils sont choisis sur le logiciel RSIPA, et ne s’adaptent pas toujours aux réalités des usager.e.s. Pensons notamment à l’approche de réduction des méfaits. Par exemple, un usager suivi au soutien à domicile doit s’assurer de recevoir ses cannettes d’alcool afin de limiter ses tremblements dus aux symptômes de sevrage. Doutons que cela soit un moyen existant dans RSIPA. Les interventions des travailleuses sociales sont souvent, d’ailleurs, instrumentalisées dans une visée de reddition de comptes au sein du soutien à domicile, ce qui se matérialise également dans l’élaboration des plans d’interventions, axés davantage sur l’allocation de services à domicile, les démarches et les références interprofessionnelles que sur le travail psychosocial ou thérapeutique.

Constatons néanmoins que le plan d’intervention est orienté vers les forces et en adéquation avec la thérapie orientée vers les solutions (Turcotte et Deslauriers, 2017). Il respecte le mandat du soutien à domicile, car il vise une autonomisation globale. Le démarchage est central dans la pratique du soutien à domicile, il totalise plus de la moitié de l’intervention. Non seulement fonctionnelle, l’autonomisation est également de l’ordre de l’empowerment. Il aurait notamment été intéressant de documenter cela dans le plan d’intervention. Ce dernier consiste en la réévaluation d’un plan d’intervention produit il y a plus d’un an. Observons ainsi que ma couleur professionnelle spécifique ne s’est pas manifestée dans son élaboration, et qu’aborder la reprise de pouvoir aurait été une manière efficace de matérialiser mon savoir-faire comme professionnel.

Compte tenu des liens de dépendance qu’entretient madame avec les professionnel.le.s du réseau de la santé, il aurait pu être pertinent d’élaborer des moyens pour favoriser la reprise de pouvoir de madame et son autonomisation. Outre le moyen « mobiliser les forces et les habiletés dans la résolution de problèmes », il aurait pu être intéressant d’établir un objectif tout autre. En effet, l’empowerment aurait pu lui-même être abordé comme objectif, dans ses composantes individuelle et collective. 

Au niveau individuel, un travail de conscientisation et émancipatoire est effectué avec madame lors du suivi, notamment dans le cadre de l’alliance thérapeutique (Lemay, 2007). Madame est responsabilisée et impliquée dans les démarches effectuées dans son intérêt. De plus, l’autonomisation pourrait également se traduire par des formes d’éducation en lien avec la défense de ses droits et l’enseignement à la mobilisation de ressources afin de limiter la dépendance de madame aux institutions (Lemay, 2007).

Au niveau collectif, il serait intéressant d’impliquer madame dans un « groupe de référence (Lemay, 2007) » lui permettant d’exercer des formes de soutien mutuel, de reprendre du pouvoir sur ses conditions d’existence et de briser son isolement et, par le fait même, de ralentir son déconditionnement. Ce moyen serait également fort pour conscientiser celle-ci et favoriser l’émancipation des rapports de stigmatisation vécus (Lemay, 2007). Comme l’explique si bien Nérée St-Amand : « […] empathie, chaleur et sincérité manifestées par une pratique individuelle provoque l’isolement (St-Amand, 2003, p. 144). »

En conclusion, je constate qu’il est primordial de conserver son autonomie professionnelle lors de l’élaboration du plan d’intervention. En effet, les institutions possèdent des moyens d’action parfois limitatifs de l’action des travailleurs et travailleuses sociales. Dans le cadre du soutien à domicile, les attentes gestionnaires suscitent l’injonction à la travailleuse sociale d’agir parfois comme simple courtière de ressources. « Les institutions que nous avons créées possèdent une telle force de persuasion que non seulement elles nous imposent nos choix, mais encore limitent le jeu de l’imagination créatrice (Illich, 1971, p. 155, cité dans St-Amand, 2003). » Si ce rapport de courtier de ressources et de bénéficiaire de service existe entre l’aidant.e et l’aidé.e, pouvons-nous prétendre que le lien thérapeutique soit de l’ordre de l’empowerment? La relation de dépendance existant entre ces deux instances n’est-elle donc pas accessoire mais fonction en elle-même des institutions?


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